La vidéo d’art sur Internet
Le cinéma expérimental et l’art vidéo percent sur la toile
A l’heure où les plateformes de partage vidéo sont devenues les vecteurs d’une culture amateur, quelle est la place laissée à la vidéo artistique sur Internet ?
La place de la vidéo d’art sur Internet ne se résume pas à un combat manichéen entre le géant YouTube et les portails institutionnels : son irrigation sur le web est beaucoup plus complexe et subtile, entre initiatives publiques et initiatives privées. Dernière en date, la création en octobre 2010 du portail public 24-25.
Se définissant comme le « portail des images en mouvement », 24-25 joue le rôle de moteur de recherche au cœur des collections de sept associations qui œuvraient jusqu’alors chacune indépendamment des autres. Collectif Jeune Cinéma, Heure Exquise !, Les Instants vidéo, Light Cone, Le Peuple qui manque, Vidéoformes et Circuit Court sont les premiers à participer à ce projet dont l’envergure est à ce jour sans précédent en France. Au total, plus de 11 000 films sont ainsi disponibles. « On a participé au plan de numérisation du Ministère de la Culture, dans le cadre de programmes de numérisation des collections audiovisuelles françaises depuis 2005, explique Emmanuel Lefrant, directeur de Light Cone, avant de s’associer à d’autres associations audiovisuelles pour créer un portail. »
D’autres catalogues devraient s’y rajouter courant 2011, parmi lesquels ceux des Archives Françaises du Film, du Centre National des Arts Plastiques-Fonds National d’Art Contemporain, du Centre Pompidou (département Cinéma et Nouveaux Médias), de Cinédoc-Paris Film Coop et de Pointligneplan. Est également prévue par la suite l’entrée des archives du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, du MACVAL, de la Bibliothèque Kandinsky et du Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir. A terme, 24-25 devrait être la plateforme incontournable pour accéder en ligne aux collections audiovisuelles françaises, publiques comme privées.
En France, peu d’initiative publiques, une multiplicité d’initiatives privées
Depuis 1998, il n’y pas eu d’autre initiative publique de cette ampleur. Cette année-là, le Musée National d’Art Moderne mettait en place une Encyclopédie des nouveaux médias, à partir de ses collections et de celles de quatre autres structures européennes (l’association bruxelloise CONSTANT VZW, le musée Ludwig à Cologne en Allemagne, le Centre pour l’image contemporaine à Saint-Gervais–Genève en Suisse et le Fonds national d’art contemporain en France). « Ce site a été conçu comme un outil d’information et de pédagogie qui doit donner envie de venir voir les oeuvres » déclarait alors dans Libération Christine Van Assche, responsable du département Vidéo et Nouveau Médias au Centre Pompidou. Numérisées pour la réouverture du Centre Pompidou en 2000, les œuvres vidéo sont en effet visibles dans leur intégralité sur les bornes multimédia du musée, mais seuls des extraits sont disponibles en ligne.
Parallèlement, différentes structures associatives ont joué un rôle important dans la visibilité de l’art vidéo. C’est notamment le cas de Vidéoformes, observatoire de l’art vidéo et des cultures numériques fondé en 1984 à Clermont-Ferrand. A partir de 2003, l’association a entrepris la numérisation de son fond unique composé de vidéos d’artistes ou de producteurs indépendants. « Il y a huit ans, quand on s’est penché sur l’idée d’archives numériques, nous souhaitions donner une visibilité au travail des artistes, en mettant en ligne une partie de leurs vidéos, explique Gabriel Soucheyre, directeur de Vidéoformes. A l’époque, nous nous sommes confrontés à la grande parano des artistes et avons essuyé quelques refus. Aujourd’hui, au contraire, on se fait presque engueuler si les vidéos ne sont pas mises en ligne rapidement ».
D’autres collectifs de diffusion ont suivi le mouvement de numérisation et de mise en ligne de leurs collections, faisant le choix soit de la gratuité, soit de la vidéo à la demande (VOD). C’est notamment le cas de Pointligneplan : « Avec un accès payant aux films, nous avons pu monter une collection avec l’appui de 43 artistes et cinéastes parce que nous leur apportons l’assurance d’un minimum de revenu garanti lié à leur travail, souligne Christian Merlhiot, cinéaste et fondateur du collectif. Les artistes qui désirent mettre en ligne leurs films gratuitement peuvent le faire à titre individuel. Il ne peut s’agir d’une initiative collective comme celle de Pointligneplan ».
UbuWeb, le grand frère hooligan
Aux Etats-Unis, dès 1996, Kenneth Goldsmith a joué un rôle de précurseur en fondant UbuWeb, plateforme collaborative d’archives artistiques vidéo et sonores. Depuis, le site est devenu une référence sur Internet, diffusant des trésors jusque-là oubliés. « Quand j’ai commencé à monter le projet, explique-t-il, c’était quelque chose de très humble. Je n’avais aucune idée que ça deviendrait une des plus grandes ressource sur l’avant-garde sur Internet. » D’un point de vue légal, cela pourrait s’apparenter à du piratage, car Ubu met en ligne la plupart de ses documents sans autorisation, estimant faire œuvre d’intérêt public. Pour 24-25, la question ne se pose pas : soutenu par le Ministère de la Culture et de la Communication et bénéficiant des subventions du grand emprunt dans le cadre du plan de numérisation du patrimoine culturel, les contenus mis à disposition sont tous diffusés de façon légale, suivant les politiques individuelles de chaque participant au projet. Ce qui explique que certaines vidéos soient directement visibles en ligne tandis que d’autres ne sont présentes que sous la forme d’une fiche technique, permettant aux professionnels (programmateurs de festivals, conservateurs…) de localiser leur provenance.
Sybille II de Wim Delvoye
Le versant grand public : Vimeo, Dailymotion, YouTube
La visibilité de ces sites de diffusion reste pourtant limitée à quelques spécialistes et amateurs éclairés. Aujourd’hui, les plateformes de mise en ligne de vidéos généralistes ont aussi leur rôle à jouer dans la visibilité de l’art vidéo sur Internet, en insufflant un nouvel élan à ce secteur artistique. Première d’entre elle, Vimeo, fondée à l’automne 2004 par Jakob Lodwick et Zach Klein, quelques mois avant YouTube. Celle-ci connait un succès fulgurant grâce à ses vidéos virales, tandis que Vimeo se distingue par le choix qualitatif des vidéos postées, devant répondre à des critères très stricts : seules les créations originales de l’utilisateur peuvent y être partagées. Par ailleurs, Vimeo a fait le premier le choix d’une option HD, permettant aux créateurs de diffuser leur travail dans des conditions optimales.
OTEC (Father) de Lukas Hanulak
Les deux autres mastodontes du partage vidéo sur le Net que sont Dailymotion et YouTube ont emboité le pas. La première a, dès ses débuts, développé une dimension « arty » en mettant en avant les vidéos créatives sur sa chaîne Art et création ou via le programme MotionMaker. « Le but général, c’est de montrer la diversité et l’éclectisme du site. » déclare Marc Eychenne, responsable de la Homepage et du programme MotionMaker. YouTube, de son côté, ayant pâti d’une image négative de diffuseur de vidéos virales ou sous copyright, tente de redorer son blason, notamment en forgeant des partenariats prestigieux, à l’image du concours YouTube Play/Guggenheim. Certains artistes, comme Yann Beauvais et Edson Barrus sur Youtube ou Arnold Pasquier sur Dailymotion, ont opté pour une diffusion de leur travail auprès du grand public sur ces deux plateformes vidéo.
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Des batailles à mener
Si les chiffres de fréquentations de 24-25 depuis sa création le 8 octobre 2010 semblent encourageants (6177 visiteurs uniques pour 12 434 visites et 9500 vidéos vues), alors que le projet n’en est qu’à ses prémices, il parait évident que la visibilité du cinéma expérimental et de l’art vidéo se jouent pour l’instant ailleurs. Mais les grandes entreprises publiques internationales de numérisation du patrimoine, qui prendront des années à se finaliser, pourraient ouvrir la porte à une nouvelle consommation de l’art en ligne, à l’image du projet GAMA, le pendant européen de 24-25.
Francine Guillou et Thomas Lapointe