Les films de Mark Morrisroe

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Succès
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Drogues + dépression
New York City
Plus de dépression
Sida
Cela vous dérange si je me travestis ? 1

Le travail photographique de Mark Morrisroe, exemplaire à plus d’un titre, partage avec ses contemporains des années 80, une dimension poétique particulière à travers des marques colorées des annotations crayonnées dans les marges des photographies qui ne sont pas sans rappeler les graffitis muraux, autant que les mots peints de Jean-Michel Basquiat, Futura 2000, sans aller jusqu’à Cy Twombly bien que …
Ces inscriptions maladroites affirment une subjectivité tout autant qu’elles vont à l’encontre de l’image policée de la photographie. Il s’agit de commentaires qui me font penser à la présence de la voix dans les journaux filmés de Jonas Mekas ou à l’irruption de carton interrompant le flux d’une séquence en pointant d’autres univers, d’autres temps.
Dans la richesse des traitements de l’image chez Mark Morrisroe, on trouve une proximité avec l’attitude adoptée par de nombreux cinéastes expérimentaux qui s’opposèrent et défendirent une esthétique de la matière, en travaillant, en triturant les différentes couches du support argentique; support dont on pensait obsolète le devenir imminent. Le recours à ce « matérialisme » s’est généralisé au début des années 80 en Europe et aux Etats-Unis, et principalement à Boston autour des figures de Saul Levine et Carolyne Avery. Ces marques manifestent une appropriation supplémentaire, elles inscrivent, surtout dans le champ de la photographie, une révision de l’usage de la photographie qui, s’éloignant de son aspect purement mécanique, réaffirme au travers de telles traces une dimension artisanale, manuelle de la photographie, et revendique par la même, son aspect pictorialiste2, la faisant basculer dans le champ du dessin. Une dimension qui s’inscrit en porte-à-faux avec le devenir machine prôné par Warhol quelques années plus tôt. Cette graphie est d’autant plus pertinente qu’elle stratifie la portée personnelle des photographies de Mark Morrisroe en leurs conférant d’autres temporalités et s’ouvrant à d’autres espaces affectifs.
Mark Morrisroe déploie, ainsi que les autres membres de l’école de Boston, une perspective autobiographique dans ses photos comme cela n’avait jamais été fait jusqu’alors. La photographie comme art mineur, (celle qui na pas vraiment le statut d’Art), c’est-à-dire celle de notre quotidien, devient le sujet de prédilection de chaque membre de l’école de Boston. Ce n’est pas tant l’entourage qui est portraituré, que la manifestation d’un narcissisme dans l’autoportrait qui, pour Mark Morrisroe, devient un genre à part entière. Dans ses photos, il convoque des histoires (intimes) dont on est témoin, plus ou moins investit, mais il le fait en raillant simultanément des époques révolues de la photographie qu’il détourne autant par les sujets que par leurs traitements… Comme le remarque judicieusement Norman Bryson, Mark Morrisroe, dans certaines photos, convoque plusieurs strates de l’histoire de la représentation de Courbet à Paul Morissey3… Il en va de même avec les films super 8, qui font échos à un large corpus du cinéma underground, mais qui ne s’y réduise pas, ni ne le répète, car ces films participent de l’esthétique punk du moment, dont le no future était le mot d’ordre (et pas seulement musical) : mouvement apparu en Europe et en Amérique du nord à partir de la fin des années 70 et au début des années 80. Rappelons que les trois films de Mark Morrisroe furent tournés entre 82 à 84, mais n’ont jamais vraiment été incorporé dans l’espace du cinéma expérimental de l’époque, ni même ultérieurement4. Ils ont toujours été à la marge du cinéma expérimental, bien que ces trois films partagent avec le Cinema of Transgression et du No Wave Cinema5des années 80, la même dynamique de provocation, (mais toujours inclus lors de ses expositions personnelles). Leurs factures témoignent d’une similarité de gestes tant dans l’usage du format super 8, que dans les contenus, puisqu’ils dressent le portrait d’un monde marginal, celui de la prostitution, du travestissement, de la confusion des genres et de la drogue et prolongent ainsi, tout en la renouvelant l’iconographie gay des années 60 et 70.
Des liens existent entre les mondes de Mark Morrisroe et ceux d’Andy Warhol et Paul Morissey6. De même, l’usage du trash, du cheap, esthétiques prisées par Jack Smith et les frères Kuchar et que l’on retrouve à l’œuvre dans les premiers films de John Waters, est central dans l’univers de Morrisroe et ce, pas uniquement dans le champ artistique si l’on en croit différents témoignages7.
Les films et les photos de Mark Morrisroe sont l’écho d’une vie à travers la capture d’instantanés retravaillés, annotés. Ils sont les marques tangibles des performances dans la vie d’un personnage qui, se façonnent à travers les différents rôles tenus, qu’ils soient grotesques, burlesques ou pathétiques. Les rôles, les photos et les films permettent de trafiquer différents personnages, ils sont l’écriture éphémère d’un personnage qui se crée et se recrée, recourant à de multiples fictions pour les besoins de la cause. C’est ainsi que se comprend le recours aux photos de films. Il ne s’agit pas des habituelles photos de repérages, ou de tournages, mais des photos de plateaux assistés à partir de photogramme des super 8, doublement signé par Mark Morrisroe. Voir illustration : Hello from Bertha 1983 ; pour Nymp-O-Maniac 1983, la photo de plateau est légendée comme production des Spectacular Studios ! datée 84. Dans quelques photos, Mark Morissroe titre le polaroid mais rajoute entre parenthèse une indication telle : Ode à Diane Arbus. Toutes les marques semblent créer une distance, en apparence, elles traduisent une appropriation supplémentaire, la marque d’une subjectivité qui se manifeste dans la production d’un univers fantasmatique personnel à partir de prélèvement du réel, pour le moins (techniquement) assisté, c’est-à-dire manipulé. Il faut entendre cette manipulation au pied de la lettre. La manipulation s’exerce doublement, une fois au plan du contenu qu’ils s’agissent de portraits ou d’autoportraits autant qu’elle se révèle dans les formes et techniques utilisées. En ce qui concerne la photographie, les marques crayonnées fonctionnent comme plus-values, elles sont la trace d’un échange épistolaire potentiel, elles semblent s’adresser à un destinataire particulier (The Boy Next Door, Summer 1983, p 193). De leurs côtés, les empreintes digitales8, les griffures, pliures et tâches insistent sur le caractère artisanal de la production des photos, lesquelles sont créées de toutes pièces par un corps: celui de Mark Morrisroe. (In the Garden of the Water Babies 1983, p 245). Ces traces bien particulières se retrouvent chez de nombreux cinéastes qui dans les années 80 décident de contrôler/ maitriser toutes les étapes de fabrications de leurs films, c’est-à-dire qu’ils développent et tirent eux-mêmes les films, sans recourir aux laboratoires. Parmi ceux-ci on peut citer Carolyne Avery, Phil Solomon, Matthias Müller, Jurgen Reble. La production s’autonomisant se déploie selon une esthétique plus crue, en lien avec la scène Punk et Gothique et, qui privilégie la projection dans des espaces alternatifs : clubs, bars. Ces traces parasites ne sont pas la marque d’un manque de savoir faire, elles répondent à d’autres critères qui incorporent différentiellement les modes de production de l’image. Elle semble confisquée le matérialisme des cinéastes structurels européens dans un registre qu’ils réfutaient. En effet, pour ces cinéastes structurals9, la matière film se déploie contre un mode de représentation bourgeois qui s’accompagne d’un ensemble de règles de production et de présentation de l’œuvre. À l’image lisse et policée du cinéma narratif industriel, les cinéastes structuralistes matérialistes opposent la brutalité de leurs appropriations et détournements qui mettent au premier plan la matérialité du support même, sans concession ni revendication personnelle. Il s’agit de résister à un mode dominant, alors que les cinéastes des années 80, qui s’emparent de cette matérialité, le font, dans une optique différente, puisqu’ils s’emploient à irriguer subjectivement, cette matière photographique et cinématographique. On est en présence d’une reterritorialisation de la matière cinématographique, qui est réinvesti et s’oppose à la représentation dominante propre, insipide, sans pathos, aseptisée, normée. L’anormalité, le différent ne sont pas revendiqués, mais explorés et se donnent comme alternatives aux productions antérieures qui déployaient leurs processus sous la forme de résistance à une idéologie de la représentation. Ici la matière est surchargée, montrée dans toute sa splendeur, dans tous ces états. Le film, la photo s’abîme dans les textures, dans les épaisseurs des couches argentiques constituant l’émulsion colorée. Les sujets se dissolvent dans la matière ; ils font corps avec la matière. Le film, la photo sont en devenir; des sujets à venir. Ce n’est pas un hasard si à cette époque, le corps, le sexe et le genre s’imposent comme sujets dominant au cinéma et dans la vidéo ; ils s’inscrivent dans un mouvement qui manifestent son intérêt pour le personnel, l’intime, le singulier, dans lequel la marque d’un sujet est prépondérante10. Ces marques s’inscrivent dans le traitement de la matière photographique qui, dans, le cas de Mark Morrisroe privilégie l’utilisation de procédés spécifiques lors du tirage des photos (sandwich d’un négatif noir et blanc à un positif couleur afin de produire un tirage unique), ou en manipulant le polaroid lors de sa révélation. Dans tous les cas, le traitement sign(al)e, un corps engagé dans le façonnage de l’image.
Le corps de Mark Morrisroe devient son sujet de prédilection. La manifestation de cet intérêt dépasse la contemplation narcissique en ce sens que ce corps est mis en scène de plusieurs manières provocantes, parfois dérangeantes. Ce corps de jeune homme est aussi le corps d’un jeune prostitué qui se vautre dans le monde de l’art. Mark Morrisroe, comme David Wojnarowicz n’ont pas déposé aux portes manteaux de l’art, leurs activités d’anciens prostitués, ils en ont fait le sujet de photos, films, textes. (voir Sweet 16, Little Me as a Child Prostitute, 1984, p 143, la série Arthur Rimbaud in New York 1978-79, de Wojnarowicz). Le recours au camp est alors essentiel dans la mesure où il permet de faire de la mascarade, une arme de dérision et d’affirmation. Le camp se défini par un ensemble de gestes, comportements, attitudes qui modifient les codes sociaux et font d’un sujet : un personnage, une diva, une folle, une créature flamboyante ou horrible selon les besoins. Dans les années 60, avant que Susan Sontag en fasse l’objet d’un célèbre article11, et que cela devienne un sujet des queer-studies ; le camp était mal vu : « le mot camp utilisé par la presse dominante est généralement péjoratif, signifiant homosexuel ou insincère, se moquant de quoiqu’on fasse. La plupart du temps, nous nous amusions à notre manière et croyions sincèrement à ce que nous faisions. On était toujours exposé.12» En reprenant un argument de Richard Dyer quant à Jack Smith13, on peut dire que Mark Morrisroe s’inscrit dans cette tradition du camp qui ne dresse pas tant le portrait intime de l’auteur (sa personnalité), qu’il déploie les facettes du performer. Dans deux de ses films, Mark Morrisroe en drag, fait de ses alter-ego, des personnages qui se jouent des codes de son univers, au profit d’une théâtralisation qui fait de la maladresse, de la redite, de l’inabouti des moteurs de fiction. C’était déjà le cas dans certaines comédies de Andy Warhol des années 60, Harlot (1964), Lupe (1965), The Life of Juanita Castro (1965), Camp (1965), The Chelsea Girls (1966), Lonesome Cowboys (1967)). Jack Smith et Taylor Mead ont fait de ces ratages apparents de très efficaces instruments de dérision et de parodie qui sapent nos attentes en nous plongeant dans un univers où tout (re)devient possible, ou rien n’est exclu. Le personnage en drag ne peut jamais être confondu avec une femme, ce qui est affirmé, c’est le travestissement.
La parole et les comportements des « acteurs » semblent spontanés, alors que les films sont écrits. Hello from Bertha (1981) est basée sur la courte pièce de Tenessee Williams, alors que Nymph-O-Maniac (1984) est scripté à partir de conversations télephoniques sexuelles et dialogues de films pornos14. Dans les films de Mark Morrisroe, les répétitions soulignent le caractère joué de la performance alors qu’on pourrait croire qu’il s’agit d’un enregistrement direct, tel celui de Shirley Clarke dans Portrait of Jason (1967).
On se souvient que Ronald Tavel recourrait à d’habiles stratagèmes afin que les acteurs délivrent leurs textes et ce à l’encontre des interventions de Warhol et de son équipe qui s’y opposaient par tous les moyens, induisant des suspensions dans la continuité linéaire de l’action. On retrouve de telles suspensions dans les films de Mark Morrisroe ; par exemple à l’occasion de la répétition d’une tirade de Jack Pierson à la demande du caméraman, alors qu’il s’adresse à Mark en drag: How come you’re dress like a women ? puis : Are you one of those transexual ? Rupture dans la continuité de la fiction au profit du jeu de rôle. Inversion des priorités ; le surgissement de l’hétérogénéité est important car il signe l’artifice : le jeu comme pluralité de variations, de possibles. L’incorporation de la redite évoque les préparatifs sans fin d’une performance de Jack Smith, la performance se constituant de fait, à travers ce déplacement d’objet, sur lequel elle s’effectue.
Il y a une volonté féroce de montrer des scènes qui vont choquer, heurter le bon goût, en ce sens Mark Morrisroe poursuit une veine magnifiquement explorée par Jack Smith, John Waters dans un registre, mais aussi de nombreux artistes qui travaillèrent à miner le bon goût de l’art « bien assis ». A la manière de Mike Kelley, Tony Oursler, Tony Conrad, Joe Gibbons etc, Mark Morrisroe travaille à partir de, et se joue des clichés, autant que de la décense et du bon goût. La question du travestissement, de la prostitution, de la violence des rapports est centrale; chaque film nous montre quelques moments dans la vie de créatures qui luttent pour survivre. Nous ne sommes pas dans le monde de Tenesse Williams ou de John Casavettes, mais dans un monde âpre, plus cru, moins psychologique, et ce même si Hello from Bertha est bien une adaptation. Les rapports entre les protagonistes se limitent à des échanges qui vont de la connivence à la répudiation et qui transitent par toutes formes de violences verbales, maladresse et violence physiques. Ce monde est plus sombre que celui de John Waters et ce peut-être parce que la trame narrative est toujours à la merci d’un écart du performer. La provocation, l’excès sont moteurs, toujours plus dans la décrépitude, la déchéance mais il ne faudrait pas y voir un quelconque jugement moral, plutôt un choix esthétique qui veut que l’on travaille à partir de ce qui est proche de soi, de ce qui nous motive, de ce qui nous habite. Ainsi s’habiller en femme, tenir un rôle hors de soi, détourner les codes des genres sexuelles et les tourner en dérision par excès de mimes et clins d’oeil ou par maladresse permet d’affimer, par-delà l’auto-dérision, des états de subjectivités, des éclats de sujets que la bienséance disqualifie. Dans ce travail ce n’est pas tant la provocation qui compte que les assauts sur codes de la masculinité et de la féminité qui sont, progressivement, laminés. L’attribution des rôles du genre est tourneboulée, ou tout au moins troublée15. Dans The Laziest Girl in Town, Mark parle de la différence entre un transexuel et un travesti; « Un transsexuel veut être physiquement une femme, alors qu’un travesti aime porter des vêtements féminins, et c’est ce que j’aime faire. » Ce trouble dans le genre met en joie les protagonistes qui tiennent leur rôle avec le plus grand soin, quand bien même leurs performances ne correspondent pas aux attentes et à la performativité professionnelle pour laquelle l’acteur s’abîme dans le rôle qu’il interprète. Ici comme dans toute attitude camp, c’est le jeu entre le personnage et l’actant qui nous intéresse, c’est l’oscillation entre les deux sujets qui force notre intérêt. L’instabilité du rôle et du sujet traverse le film, la performance manifeste ainsi des possibilités de subvertir les rôles sociaux et leurs attributions selon des attitudes et comportements camp. Comme dirait Taylor Mead dans un de ses aphorismes des hommes accrochés aux rôles de leur genre : « Les beaux hommes qui ne savent ou leurs talents résident; choisissent l’art, l’hétérosexualité, tout afin d’éviter ce qui vient naturellement, ou ce qu’ils auraient obtenus d’un esprit ouvert. »16
Une autre dimension rapproche les films de Mark Morrisroe à ceux de Jack Smith et Taylor Mead, John Waters, mais aussi ceux de ses contemporains David Wojnarowicz et Nick Zedd, c’est leur nécessité. Leurs urgences témoignent de leurs énergies. Chaque film propose un espace clos dans lequel des êtres s’usent et s’abusent? Force est de constater que l’environnement de Mark Morrisroe dominent, ses photos parent les murs devant lesquels s’agitent une faune qui bien que réduite dévoile un monde qui oscille entre drag et drogue. Les drags commèrent, parlent de leurs envies, « J’ai vraiment besoin d’une bonne bourre ». Ce vœux est mimé dans une scène ou il s’encule au moyen d’un concombre, puis dans une scène Jack viole Mark en drag. Ainsi l’intimité est dévoilée et recomposée selon les besoins du film à partir de l’entourage proche, amants amis… Le film ne relève pas de l’autoportrait comme le font les photos, mais propose des incursions dans les mondes de Mark Morrisroe. Chaque film déploie des moments de subjectivation qui interrogent la société à travers l’homophobie et la définition des rôles (It’s all te same you’re queer anyhow!). En ce sens ils prolongent « la célébration de John Waters quand à la nature abjecte de la « folitude » en regard de la société américaine », pour reprendre une analyse de Mike Kelley17.

Les films de Mark Morriroe se donnent comme symptômes culturels, ils signent à la fois l’appartenance à une culture donnée autant qu’ils la dénonce paradoxalement. Les films de Mark Morrisroe, sont souvent apréhendés comme « amateurs »; ils répondent à la même dynamique que les photographies, ils assument leur côté soi-disant amateur tout en montrant que le cinéma n’est pas un territoire réservé aux seuls agents patentés; en ce sens ils partagent cet engouement et cette démocratisation du cinématographique des mouvements super 8 des années 80, avant qu’elle ne s’amplifie avec la vidéo ainsi qu’avec le travail des activiste du sida. Prendre possession du cinéma, faire du cinéma ou plus exactement faire sien le cinéma, c’est pouvoir à la fois faire et montrer les images d’une génération sans médiation externe. C’est parler en son nom et non pas être dit par autrui. C’est affirmer sa liberté sans se satisfaire de celle qui nous serait proposée. Tout le travail de Mark Morrisroe participe d’un tel processus d’affirmation; que celui-ci fasse appel à la dérision, à la violence ou à la destruction n’y change rien. Il est toujours question d’affirmer des états, des ébats, des pulsions qui ne sont pas nécessairement roses, propres, ou ronronnantes. Les pulsions ne sont pas policées, elles sont crues et par conséquement montrer sans artifices (bien que… ). L’ouverture de Nymph-o-Maniac (1984) rend hommage à John Waters en mettant en scène une créature généreuse qui à défaut d’être flamboyante, téléphone à de potentiels clients, décrivant ses caractéristiques physiques et ce qu’elle pourrait leur faire. On est dans un monde interlope, constitués de prostitués et lesbiennes qui habitent un appartement dont les murs sont couverts de photos de magazine gays et de couvertures de LP. La camera virevolte un peu à la manière des sex comedies de Morissey et Warhol; les coupes sont bien apparentes presque des strobes cut18, les fins de bobines super 8 viennent parfois interrompre la narration pour mieux la relancer au moyen d’un intertitre tel que : Later, ou Later that evening…
Dans un des plans, dans la salle de bain, on entre aperçoit brièvement dans le miroir Mark Morrisroe filmant cette journée dans la vie d’un nymph-o-maniaque qui reçoite en fin de soirée deux hommes qui la bouscule avant de l’attacher à une chaise et la violant au moyen d’un porte manteau méttalique, l’avortant, puis lui setionnant la main droite. Le film se termine sur la femme traitant les deux agresseurs de salop.
La violence des scènes montrées et principalement celle de la main coupée anticipe le bras arraché de David Wojnarowicz dans une des récits19 de Manhattan Love Suicide (1985) de Richard Kern, film cepedant plus gore, autant qu’elles font échos à la violence mise en scène par le cinema de la transgression. L’atmosphère général du film de Morrisroe évoque plus le climat et l’humour noir des films de John Waters; par son côté sordide et trash, mais à ladifférence de ce dernier l’action se limite à une journée dans la vie d’une nymphe. Cette limite temporelle ne correspond pas au temps du tournage comme c’est le cas avec Shirley Clark dans Portrait of Jason. Mark Morrisroe ne fait ni du direct cinema ni du cinéma vérité. Il crée des paradis artificiels plus ou moins féériques ou sordides, qui incorpore de nombreux genres cinématographiques. Il anticipent un état du cinéma contemporain qui décloisonne et privilégient des formes hybrides. Le cinéma permet à Mark Morrisroe de travailler à la fois la confusion des genres et ses représentations, la violence domestique quotidienne et de faire entendre des dialogues outranciers qui rappellent les textes de son Dirt Magazine (1975-76). Les films ne documentent pas un événement comme c’était le cas avec le snuff film perdu de la mise à mort d’un chat20, mais ils témoignent de mode de vie, de situations généralement peu montrées et encore moins fréquemment vues.
Morrisroe crée des réalités, il ne fait pas de remake, la parodie n’est pas l’objet premier du film, en ce sens ils se distinguent de nombre de production contemporaines qui font de la parodie et du pastiche leur objet à partir de séries de télé comme le fait avec un humour décapant Leona21, favelado de Belem, parodiant les novellas de la télé Globo.

Recife Aout-Sept 2011
1Mark Morrisroe, ed Klaus Ottmann, pg 22 Twin Palm Publishers, Santa Fé, 1999
2Le pictorialisme veut inscrire l’interprétation de l’individu dans l’espace de la photographie au moyen de’effets d’atmosphères, textures etc qui induisent une distane vis-à-vis du réeel photographié. Il s’agit d’introduire une dimension picturale, quasiment tactile dans la photographie.
3 Boston School, Norman Bryson in catalogue du même nom, ICA Boston, Primal Media, Alston, 1995
4 Rappelons que la grande exposition Big as Life (An American Histoy of 8mm) consacré au 8mm et super 8 organisé par la San Francisco Cinemathèque et le MOMA NY, n’incluait beaucoup de films « No Wave », et encore moins de films d’artistes. L’exposition s’est tenue en 1998-99, à un moment ou les séparations entre ces différents milieux semblaient caduques…
5 Le Cinema of Transgression surgit au milieu des années 80 à New York ses représentants les plus connus sont Nick Zedd, Richard Kern, Manuel de Landa, Bradley Eros ; ce mouvement a été nourri par le No Wave Cinema apparu quelques années plus tôt, dans le Lower East Side. Parmi ses membres : Eric Mitchell, Scott and Beth B, John Lurie, Lizzie Borden, Vivan Dick, Bette Gordon et Michael McLard dont on retrouve la trace dans Ballad of Sexual Dependency, de Nan Goldin.
6 Dans lesquels on devrait inclure quelques séquences de Chelsea Girls, mais aussi Trash ou Heat, et les vidéos Vivian Girls et Fight.
7 Jack Pierson : Sometimes I think I’d Rather Be a Movie Star than an Artist – Mark Morrisroe; Most Days I Think I’d Rather Be a Photograph than a Human Being- Jack Pierson in Artforum January, 1994
8Doit-on y lire un clin d’œil malicieux au film de Duchamp Anémic Cinéma (1924-26) qui à la signature de Rose Selavy juxtapos son empreinte digitale
9 Peter Gidal, Malcolm LeGrice, Birgit et Willem Hein auquel on peut ajouter Ryszard Wasko, Joseph Robakowski. Voir Stuctural Film Anthology de Peter Gidal, BFI Londres 1976 et Abstarct Film and Beyond de Malcolm Legrice Studio Vista Londres
10Remarquons qu’il s’agit d’une époque qui face à l’irrution du Sida répond au moralisme et à la dénégation des représentations des pratiques homsexuelles par un activisme qui met en avnt des corps sensibles dans tous leurs états. Le champ de la photographie, du cinéma et de la vidéo sont alors des outils privilégiés dans ces éclosions subjectives.
11 Notes on Camp, Partisan Review 1964
12 Réponse inédite de Taylor Mead à une question de Catia Riccaboni, en avril 90.
13 Richard Dyer : Now you see it Studies on Lesbian and Gay Film, p. 103-04 Routlege, Londres 1990 Alors que « Flaming Creatures porte la marque de la la personnalité de Jack Smith, il n’est pas une exploration de sa psyché, et ne révèle pas non plus le moi intérieur des performers drag-queen qui sont là pour le spectacle. Il y a un glissement de la personnalité du cinéaste au profit de la personnalité du performer qui est aussi un déplacement de l’exploration de personnalité comme réalité intérieure à l’observation d’une surface externe. »
14D’après Stuart Comer in Lipstick Traces: The Films of Mark Morrisroe in Mark Morrisroe, Catalogue exposion FotoMuseum Winterthur JRP Ringier, Zurich 2007
15Sur ce trouble des genres voir Jean-Yves le Talec: Folles de France éditions la découverte, Paris 2008
16Taylor Mead : On Amphetamine and in Europe, Exerpts from the Anonymous Diary of A New York Youth Vol 3, p 131, Boss Books New York 1968
17Cross-Gender / Cross-Genre, in Mike Kelley Foul Perfection p 104-105 MIT Press 2003
18Les strobe cut ont été utilisés par Anthony Balch et W.S. Burroughs dans The cup-ups (1966) mais surtout ar Warhol dans Bufferin (1966). Un strobe cut est un plan précedé d’un photogramme blanc qui induit ainsi un flash illuminant le plan.
19Il s’agit de Stray Dogs, dans laquelle David Wojnarowicz, joue le rôle d’un jeune gay qui n’arrive à capter l’attention d’un peintre que lorsqu’il s’est arraché un bras.
20Ramsey McPhillips raconte l’histoire de ce film et de sa diffusion sur une chaine locale de Boston dans le Pat Hearn Show in : Who Turned Out the Limelight? The Tragi-Comedy of Mark Morrisroe, in Loss Within Loss, p 99 edited by Edmund White, University of Wisconsin Press, Madison 2001
21Voir sur you tube la série Leona a Assassina Vingativa, e Meu nome e Leona.

Author: Edson Yann

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